Comment se définit une entreprise publique ?
Après trois décennies de privatisation et de libéralisation, les entreprises publiques sont parfois considérées comme des vestiges d’une époque révolue. Pourtant, aujourd’hui, ils jouent toujours un rôle économique central dans de nombreux pays industrialisés et « émergents ». En France, la propriété publique du capital est donc loin d’être un phénomène marginal, comme en témoignent les 145 milliards d’euros de chiffre d’affaires des entreprises aujourd’hui au sein de l’Agence nationale des participations (APE). Par le biais de différents canaux (APE, mais aussi la Caisse des Dépôts et Consignations et la Banque publique d’investissement), l’État français contrôle — ou fait partie du capital — de nombreuses entreprises. Qu’ils aient le statut d’établissement industriel et commercial public (par exemple, la SNCF ou la RATP) ou société anonyme (La Poste), que la participation de l’État soit minoritaire (GDF Suez, Orange, Thalès) ou majoritaire (EDF), ces entreprises publiques – souvent de grande taille – sont présentes dans des secteurs très divers, dont l’énergie, les télécommunications, les transports et la défense. Cette diversité de situations nous amène, pour mieux observer les causes, les raisons, la nature et les effets de la propriété publique du capital, à adopter une large compréhension de la notion d’entreprise publique. Par ce terme, nous entendons toute société dans laquelle, quelle que soit sa forme juridique, l’État, une autorité locale ou l’une de leurs agences, contrôle une partie importante du capital. Cependant, il nous semble nécessaire de ne pas définir d’emblée ce que nous entendons par « part importante du capital » pour assurer le contrôle de l’entreprise. Cette notion a plusieurs significations, qui varient selon les périodes, les entreprises et les secteurs considérés, mais également selon les acteurs interrogés et les intérêts concernés.
Si l’actualité récente a montré que l’actionnariat public reste un levier d’action économique de l’État français, les logiques d’intervention contemporaines contrastent avec celles du passé, surtout si l’on les compare aux nationalisations d’après-guerre ou à celles du début des années 1980. L’utilisation accrue d’outils financiers dans la gouvernance des entreprises publiques est sans aucun doute l’un des symboles du renouvellement des catégories d’action de l’État qui résonne avec la diffusion d’une nouvelle gestion publique au sein de l’administration. Les récentes interventions des pouvoirs publics dans le secteur automobile français — industrie privée confrontée à la concurrence internationale — témoignent de ce renouveau de la logique d’action : au cours des deux dernières années, l’État est d’abord entré dans le capital de PSA (en partenariat avec un constructeur chinois) puis en difficulté, puis a levé le capital de Renault pour influencer les décisions dans le cadre de l’alliance avec Nissan. En outre, en 2016, l’État a contribué, via le BPI (aux côtés de Nippon Steel & Sumitomo Metal Corporation), à une augmentation du capital de Vallourec, un opérateur para-pétrolier souffrant de la chute du prix du pétrole. Actionnaire représentant 17,6 % du capital de l’entreprise, l’État est également intervenu en 2015 dans la lutte entre les syndicats de pilotes et la direction d’Air France-KLM.
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Même si elles représentent une part importante de l’économie du pays, les entreprises publiques font l’objet de relativement peu de travaux sociologiques. Lorsque les sociologues étudient le rôle de l’État dans l’industrie (par exemple, Dobbin, Fligstein, Bourdieu), leurs analyses ignorent souvent cette dimension. Ainsi, alors que de nombreux travaux ont été consacrés au rôle de l’État dans la construction des marchés et les politiques de concurrence, la place de l’autorité publique en tant que propriétaire des moyens de production — et en tant que tel employeur — reste largement inexplorée. C’est à cette intervention directe du Indiquer, via la propriété publique du capital, que ces journées d’étude sont consacrées.
Les relations entre l’État propriétaire et les entreprises publiques soulèvent des questions de sociologie économique, de sociologie des relations industrielles et de sociologie de la gestion. Ils abordent également directement des questions concernant les élites, la logique d’action de l’État, les organisations et le travail. Une perspective de comparaison diachronique et internationale nous permettra de mieux comprendre la dynamique à l’œuvre. Nous proposons ci-dessous quatre axes d’analyse, non exhaustifs, de la relation entre l’État et les entreprises publiques :
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1. Quelle est l’influence de l’État propriétaire sur l’activité de l’entreprise ?
Le premier axe porte sur l’influence de la propriété publique du capital sur l’activité et l’organisation de l’entreprise. Il s’interroge sur la manière dont la propriété publique est susceptible de modifier les règles et les cadres de travail, par rapport à des entreprises privées.
De quelle manière l’État propriétaire détermine-t-il les conditions de production ou d’exploitation d’une entreprise ? Dans quelle mesure l’État influence-t-il le type de biens produits et les modes de production ? Comment ces règles sont-elles fixées ? Comment sont-ils interprétés par les dirigeants d’entreprise ? Dans les industries de réseaux, comment l’obligation de service public prend-elle une dimension particulière lorsque l’État en est le propriétaire ? Dans les industries de biens, comment l’État influence-t-il, par exemple, la localisation géographique des sites de production ? Comment la nature stratégique d’une activité est-elle définie, justifiant une intervention directe de l’État ? En d’autres termes, comment expliquer la redéfinition du champ d’action de l’État ?
2. Les entreprises publiques et la circulation des élites d’État
Le deuxième axe interroge la sociologie des élites dans les entreprises publiques. Si le trafic d’élite entre l’État et les grandes entreprises La France est ancien, leur profil (acteurs politiques ou hauts fonctionnaires) et leur place ont évolué, selon les rapports de force et les rapports de force entre les grands organes, mais aussi la place de l’État dans l’économie et dans le capital des entreprises.
Quelles élites politiques et administratives étaient présentes, hier et aujourd’hui, dans les entreprises publiques ? Quelle est la contribution de ces élites — en termes de représentations, de pratiques, de capital social, etc. — lorsqu’elles occupent des postes dans des entreprises du secteur public ? Quel est leur lien avec les tutelles ? Leur présence permet-elle d’accentuer le contrôle de l’État sur les entreprises publiques ou, inversement, ces élites acquièrent-elles une relative indépendance par rapport à leur ministère d’origine, voire permettent-elles à l’entreprise d’accentuer d’éventuelles opérations de lobbying auprès des autorités publiques ? Est-ce que ces élites « glissent » davantage dans les entreprises publiques que dans les entreprises privées ? Est-ce que ces mouvements dépendent de l’action du État dans l’économie ou vis-à-vis d’une entreprise, d’un secteur ? Quelles sont les conséquences de ces carrières sur les activités de l’entreprise et ses relations avec l’État ?
3. Formes de contrôle des entreprises publiques et portée de l’intervention de l’État
Le troisième axe de cet appel concerne les transformations des formes de contrôle de l’État sur les finances des entreprises. Les trois dernières décennies ont eu tendance à être associées à des privatisations totales ou partielles, tandis que les outils de contrôle de l’État ont évolué. Dans le même temps, les administrations publiques traditionnelles, comme les entreprises privées traditionnelles, ont vu leurs modes de gouvernement recomposés autour de la notion de rendement financier. On peut alors émettre l’hypothèse que la dynamique au sein de l’administration a des conséquences sur les stratégies mises en œuvre par les entreprises publiques et, en contrepoint, se poser la question de la spécificité de chacune de ces transformations.
Comment expliquez-vous ces dynamiques ? Quels jeux politiques et changements de paradigme au sein de l’État révèlent ? Quels sont leurs effets sur la stratégie de l’entreprise, sa politique de financement et sa politique commerciale (marketing, politique de prix, etc.) ? Plus généralement, comment expliquer les changements dans le mode de contrôle et la forme juridique (transformation d’une administration en établissement public, transformation d’un établissement public en société anonyme, etc.) ? En outre, dans la mesure où les transformations des administrations sont interprétées comme inspirées par le secteur privé — du moins dans le discours — les entreprises publiques constituent un observatoire particulièrement significatif de la recomposition de l’État. La définition du rendement est-elle similaire à celle observée dans les entreprises soumises à l’émergence de la valeur actionnariale ? Plus généralement, la financiarisation affecte-t-elle également les entreprises publiques et, dans l’affirmative, les affecte-t-elle sous une forme similaire ?
4. Relations étatiques et professionnelles dans les entreprises publiques
Le quatrième axe concerne le rôle de l’État dans la gestion de l’emploi et des relations professionnelles dans les entreprises publiques. Dans ces entreprises, le jeu des trois catégories d’acteurs des relations industrielles (pouvoirs publics, employés et leurs représentants, employeurs et leurs organisations) présente des spécificités importantes par rapport au secteur privé, où l’action de l’État est menée par le biais de mesures législatives ou les outils réglementaires et le cadre de négociation collective.
Dans quelle mesure la participation de l’État au capital de ces entreprises influence-t-elle la réglementation des conditions de travail et d’emploi des employés de ces entreprises ? La propriété publique d’une entreprise est-elle synonyme de meilleures conditions de travail et d’emploi (temps de travail, congés, rémunération) ? Dans quelle mesure cela affecte-t-il les carrières de les employés des entreprises publiques (modèles de recrutement, de promotion et de rémunération) ou sur les formes de représentation et de participation des travailleurs dans ces entreprises ? Au cours du siècle dernier, certaines entreprises publiques ont pu mettre en place des relais d’action économique et sociale de l’État, voire de véritables « laboratoires sociaux ». Ce rôle appartient-il au passé ? Dans quelle mesure les nationalisations et la participation de l’État au capital des entreprises sont-elles toujours liées aux objectifs de l’État en termes d’emploi ou de répartition des richesses ? Inversement, comment caractériser les effets des transformations qui tendent à rapprocher les réglementations professionnelles et les politiques de gestion des ressources de ces entreprises de celles du secteur privé ? Quels sont les effets, notamment sur la négociation sociale, de l’effondrement des statuts d’emploi auquel nous assistons dans certaines entreprises publiques (fonctionnaires, salariés ayant un statut ou salariés de droit privé couverts par des conventions collectives) ?